mercredi 13 juin 2007

Chemins d’école et ponts d'Arcole

Du pont de la route de Brux jusqu’à la laiterie de Chaunay, le chemin longeait la Bouleure.
Odeurs de lait caillé et de fromages en ferments, travailleurs le cheveux gras en salopettes blanches et bottes toujours vertes pataugeant dans de grandes flaques opalines, la laiterie, industrie décalée dans un monde essentiellement attelé au sillon d’une charrue.
Ce n’était un chemin qu’aux beaux jours. L’hiver, la Bouleure l’effaçait du paysage et en faisait son second lit de débauche. Des bois morts y flottaient à la dérive et au-dessus, décrivant de grands cercles inquiets, les vanneaux huppés piaulaient pathétiques sur le gris du ciel.
C’était aussi un oxymore, un détour pour éviter le chemin des écoliers quand les bohémiens surgis de la nuit et leurs yeux noirs étincelants comme ceux des chats harets, campaient sur un petit tertre herbeux de l’autre berge.
Le chemin pour contourner les couteaux qui pendaient à leurs ceintures, les haillons d’une marmaille aux gestes brutaux, les feux de camp, les paniers tressés d’osier, les roulottes, les petits chevaux mouchetés comme ceux des Comanches et les guitares.
C’était un ordre. Les poules renfermées à double tour, les lapins verrouillés dans leurs cases, les outils de jardin remisés, les bicyclettes entravées, les saloirs camouflés dans la maison, les billets des allocations enfouis plus profondément sous la pile de draps, la dernière précaution était enjointe : Prenez le p’tit chemin de la laiterie.
Puis, un jour, le chemin nous fit les archéologues de la guerre.
Car un orme d’un autre monde, énorme et déjà mort, avec un trou comme une grotte à sa base, gémissait là sans douleur entre le ciel et l’eau. C’était un monument, la cabourne, le désignait-on, et un matin un chat-huant somnolait sur le pas de cet antre lugubre et qui semblait vouloir fouiller de ses ombres les entrailles de la terre.
Nous avons admiré l’endormi les yeux mi-clos, nous avons dévisagé ses petites oreilles emplumées et un souffle de vent qui faisait frémir le poitrail, puis nous l’avons cruellement effrayé. L’oiseau somnambule a lourdement heurté la cime des haies et s’est évanoui quelque part sous des nuages mal définis.
Alors nous nous sommes approchés avec cette fascination étrange du chasseur ou du chien de meute à vouloir respirer l’endroit même où l’oiseau évanescent s’était reposé, comme s’il eût pu oublier là quelque chose de lui, quelque chose de concret et dont nous nous serions saisis. Agenouillés, nous avons scruté et reniflé la senteur humide de la cabourne et nos yeux comme des fouines se sont habitués à l’ombre.
Nous avons reculé, épouvantés et en jetant des cris.
C’était étrange, c’était long, c’était rond, c’était rouillé, c’était pointu.
Un obus ! Une bombe ! Une torpille ! C’est les bohémiens ! Non, c’est les boches ! La guerre !
La guerre, celle dont on nous rebattait tant les oreilles, avec des Allemands vociférants des ordres, voleurs de chevaux, de vaches, d’œufs et de lait, était de retour.
Nous avons fui.
Mais le soir, à pas feutrés pour ne pas déranger la mort qui dormait là depuis si longtemps, avec des précautions rampantes et muettes d’indiens à l’affût, nous sommes revenus. La guerre tel un monstre paisible dormait toujours sur la terre noire de la cabourne.
Alors, nous nous sommes peu à peu habitués à cette inquiétante présence d’un passé tumultueux, un passé d’avant nous, fait de feux et de sang, et nous avons juré le secret. L’arbre mort avec la mort lovée à ses pieds est devenu notre totem. Chaque fois que nous sommes passés par là, faisant même un détour pour y parvenir, régulièrement, nous sommes venus veiller sur le sommeil du monstre.
Et nous n’avons rien dit, meurtris dans notre chair et comme si nous étions des soldats assassins, quand le tranchant luisant d’une hache est venu par un sale matin de printemps briser le repos de notre redoutable idole.
Les membres déchiquetés, le cantonnier Gustave s’est éparpillé sur les herbes et du rouge, beaucoup de rouge, s’est répandu sur le blanc des pâquerettes et le jaune des boutons d’or.
La guerre, la guerre chez les hommes ne dort toujours que d’un œil. Même sous les cabournes innocentes inconnues où veillent des chats huants.

vendredi 8 juin 2007

Tendance : comment il ne faut pas écrire si on veut être publié

Si un jour, lassés par l'onanisme du bloggeur, vous voulez être publiés dans un vrai livre qui sent bon le papier et tout, je ne sais pas exactement ce qu'il vous faudra faire mais je sais précisément ce qu'il vous faudra éviter de commettre.

Ceci :

Lendemain de tempête

" Du plus loin que pouvait porter le regard, par-delà l’étendue d’eau qui recouvrait les prés communaux et qui miroitait sous le soleil oblique, jusqu’au canal et bien plus loin encore, si loin qu’on apercevait sur le ciel bleuté des clochers de villages qu’on n’avait jamais vus d’ici, les grands peupliers qui d'ordinaire habillaient les marais de leurs fières silhouettes, gisaient comme posés là par une main gigantesque, impeccablement alignés.
Ils avaient en chutant soulevé d’énormes blocs de terre et ces blocs s’élevaient maintenant très haut dans l’air, accrochés à leurs racines qui serpentaient et vomissaient de la tourbe détrempée.
A l’emplacement de chaque arbre, un grand trou, comme un tombeau, s’ouvrait à ciel ouvert.
- C’est effroyable, finit par murmurer Quentin
- Oui, répondit Mathilde. Elle s’appuyait sur son bras.
En direction de Mauzé, les peupleraies inondées étaient broyées et les arbres jetés pèle-mêle dans l’eau. Certains avaient été sectionnés à mi-tronc et ils laissaient pendre des lambeaux douloureux de bois déchiqueté, telles des plaies ouvertes par une arme barbare.
Quentin crut deviner alors une ambiance anormale, mystérieuse, qui planait et jetait sur tout ce désordre un éclairage plus dramatique encore. Il regardait tous ces arbres foudroyés, il regardait au loin dans la brume évanescente des clochers, il scrutait les bosquets de frênes et de broussailles qui semblaient avoir moins souffert mais au travers desquels on voyait tout de même de grands frênes effondrés sur les sous-bois. Il cherchait à comprendre, dans ce paysage meurtri, l’impression confuse d’une étrange mélancolie déployée en filigrane, comme si quelque chose échappait à sa conscience.
Quelque chose comme une absence.
Il chuchota enfin :
- Il n’y a pas un oiseau.
Pas un pigeon en effet, pas une corneille, pas une tourterelle, pas le moindre pinson traversant le ciel de son vol saccadé, pas un bruissement d’ailes, pas un merle, pas un pépiement et pas un mouvement sur ces champs de ruine.
Tout ce silence inquiet avait pénétré l’âme du bûcheron, habitué à vivre avec toutes les animations discrètes et tous les murmures de la vie sauvage.
Quentin eut un frisson.
- Ils ont dû partir ailleurs, chassés par le vent, dit Mathilde
- Je ne sais pas. C’est étrange…
Ils marchèrent jusqu’au canal. L’eau filait à toute allure et déversait son trop-plein entre les cadavres alignés sur ses berges. Quand un arbre s’était couché en travers de son cours, elle bouillonnait et faisait une cascade d’écume en franchissant l’obstacle.
Quentin s’accroupit et ramassa sous des branchages le corps d’un gros pigeon ramier. Il souffla sur le beau poitrail rose, sur la collerette blanche et sur le dos tout bleu, cherchant une blessure. Il n’en trouva pas. Il reposa l’oiseau, exactement là où il était tombé.
- Ils ont été projetés de leur perchoir. Ceux qui ont voulu s’envoler ont certainement été fracassés sur quelque obstacle. Ils n’ont plus où se percher dans tout ce chantier, et Quentin montrait d’un geste las le marais sur lequel déclinait la lumière, tout pâle, tout triste, comme la bougie d’une première nuit de deuil et de veille.
- Ils se sont sans doute réfugiés en forêt, conclut-il.
Ils rebroussèrent chemin. Quentin dit qu’il irait le lendemain dans ses coupes, puis qu’ils partiraient très vite en Auvergne.
Sa femme se souleva un peu sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue :
- Tu ne t’es pas rasé, bandit …plaisanta t-elle.
Il lui sourit. Il se sentait désappointé, fatigué, et ressentait au fond de lui une sourde colère, touché au moral, comme si toute cette hécatombe était profondément injuste et l’eût personnellement atteint. Il aurait aimé faire exploser cette colère, vider la coupe. Mais sur qui ?
- Ils ont de la chance, les gens qui ont un dieu…
- Comment ça ?
Ils marchaient côte à côte sur le chemin humide et la lune se levait sur le bleu pâle du ciel. La nuit serait froide.
- Rien. Tout cela m’a chamboulé et me fait dire des conneries."

Et moi, ça m'en fait écrire...
Extrait d'un de mes manuscrits de rin, mais alors vraiment de rin du tout...

vendredi 25 mai 2007

Comment dirais-je..?

ô, homme heureux,
c'est chiant, hein?, d'être appellé " homme heureux", ça fait çui qu'a rien connu des problèmes qui font qu'on est si content quand ils s'arrêtent, qui s'enlise dans sa bedaine de bandeur mou.
Je recommence:
ô, homme malheureux,
c'est encore plus chiant! ça fait chialeur déprimé , ennuyeux, mauvais vivant, macrobiotique, dépressif larmoyant, houellebequien.
Je recommence:
ô, homme bienheureux,
alors ça, c'est carrément catho, çui qu'a trouvé sa route, le sage qu'hésite pas, çui qu'a tout compris et qui, malgré tout, comme un con, un jour ou l'autre, crève.
Je recommence:
ô homme mal heureux,
c'est mieux, ça commence à ressembler à quelque chose, un effort a été produit, effort qui devrait s'avérer payant en fin de trimestre à condition d'y mettre du sien.
Toutefois, je recommence:
ô, homme mal bienheureux,
là, c'est carrément se foutre du monde.
Je recommence:
ô, homme mal malheureux,
je crois qu'on y arrive, mais il est tard, j'ai oublié ce que je voulais te dire, je vais me coucher.
sleep tight.
Dom.

jeudi 24 mai 2007

L'araignée

L'araignée tisse sa toile et les mouches par milliers viendront éteindre leurs vols dans le piège infernal.
Des amis d'enfance aux postes suprêmes de la police. Un copain derrière la caméra du plus puissant média se taillant 50 pour cent du fromage national.
Police et propagande, les deux ingrédients de la puissance unique sont servis.
Que commence le banquet et qu'on y serve de la cervelle de mouche finement rôtie !
A quand un grand congrès, une démonstration effrayante de mégalomanie, des drapeaux par millions qui claquent comme des fusils sous la colère des vents et des micros qui éructent la salive et qui lézardent la raison au plus profond de sa blessure humaine ?

Et les mouches par milliers butinent, butinent, butinent la fleur empoisonnée....votent, votent, votent d'une main que leur dicte la loi du plus fort, la loi d'un chasseur qui pour gober sa proie prit conseil auprès du braconnier gabonais, en place depuis 40 ans !

Mouche printanière, démocrate, modérée, lâche mouche insouciante, ne vois-tu pas dans le pâle silence d'un matin de rosée, tendue entre deux herbes folles de la prairie, l'oeuvre en filigrane et sur laquelle tu cours crucifier ton voyage ?

Tes ailes bleues frémissantes par l'approche de la mort, bourdonneras-tu, comme tant de mouches avant toi prises au piège, " J'savais pas, j'avais pas vu, j'savais pas, j'avais pas vu, j'savais pas, j'avais pas vu...." ?